Quelques repères pour l'histoire du tango argentin

LE TANGO : fiche d'état civil .

. Lieu de naissance : les faubourgs pauvres et les quartiers portuaires, sur les deux rives du Rio de la Plata, de Buenos Aires (Argentine) et Montevideo (Uruguay). là passent, s'entassent et se brassent des immigrés européens, poussés à l'exil par la pauvreté, et les déracinés de la pampa : population hétérogène, meutrie, vie (ou survie)dure, délinquance,prostitution......sont le terreau dont vont surgir, neuves, cette musique et sa danse.

. Date de naissance : l'orée du XXème siècle. Bien sûr, sa naissance "se prépare" au long du XIXème siècle , mais c'est dans ces premières années du siècle que se forme "La Vieille Garde", celle des "pères du tangos", qu'on appelle aussi "la génération de 1910", brillant groupe de musiciens professionnels, et que naissent des tangos célébrissimes comme EL Choclo, l'épi de maïs , ou la Moracha, la brunette.

. Ancêtres : c'est du metissge le plus intense et le plus complexe qu'est issu cet enfant à la personnalité si affirmée ! Dans son "patrimoine génétique", il faut compter avec : la milonga, chanson puis danse des campagnes dArgentine, héritère "créolisée" de la musique-danse européenne de couple, amenée en ville (vers1860) et qui y continuera son chemin propre, gai et enjoué, à côté du tango; la habanera cubaine, métisse antillaise, particulièrement réussie de contredanses européennes et de culture musicale des esclaves noirs, impoertée en Argentine par les marins ; les musiques-danses européennes polka,valse, mazurka....amenées notmment, courant XIX siècle, par les immigrants italiens à fortes culture "dansante" ; le candombé des fêtes noires, à rythmique forte et syncopée, avec des muvements du corps entiers et des arrêts brusques, dans lesquels on peutimaginer la préfiguration des corte y quebrada  ("arrêt-coupé" et cassure) de ce qui deviendra le tango -mais sans oublier que la présence des noirs en Argentine, dans cette deuxième moitié du XIXème siècle, est très faible , par suite des épidémies et des guerres dans lesquelles on les a "utilisés", et n'a rien de comparable à celle qui marque si fortement la samba ou la rumba ; la tradition espagnole, notamment andalouse, teintée d'influence gitane, avec aussi le fandango ; et encore un immigré, le bandonéon, venu en bateau depuis l 'Allemagne, qui apportera sa voix propre au tango.

     Si les ingrédients sont - pour l'essentiel - identifiés, la "recette", elle, demeure inconnue, tant la "préhistoire du tango", c'est-à-dire ce qui se situe avant 1900, est marquée par "l'approximation et la conjecture" (selon l'écrivain argentin Horatio Salas).

. Nom de baptême : origine inconnue,des dizaines d'étymologies on été défendues, parfois avec passion, parmi lesquelles le latin tangere (toucher), le francais tanguer, le mot tango ou tambo d'origine africaine...., etc....sans qu'aucune ne puisse être prouvée.

LE TANGO : un argentin voyageur 

    A deux reprises le destin du tango va passer par l'Europe - et, spécifiquement, par la France.

    le jeune tango du début du siècle, s'il a franchi les portes des maisons closes pour gagner les bals populaires, est bien loin, en 1910, d'être la danse nationale argentine. Hormis des fils de famille, en mal de divertissement "canaille", il est inconnu de la bonne société argentine. 

      Mais, en France, une partition apportée par des marins en 1906, un musicien venant enregistrer à Paris en 1907, un play-boy argentin offrant, en 1910, à ses hôtes de la haute société parisienne une démonstration de cette danse doublement exotique - géographiquement et socialement - et... l'incendie Tango se déclare : partie, à l'inverse de son chemin en Argentine, des salons les plus huppés de Paris pour se propager, au-delà, dans les autres milieux et les autres pays européens. L'engouement pour le tango est à son comble avant la guerre de 1914, est la "tangomania" va de pair avec une polémique alimentée par les plus hautesautoritées : pape, empereur d'Allemagne....qui dénoncent l'inconvenance de cette danse.

        L'ambassadeur d'Argentine en France a beau tempêter contre l'accueil européen fait à ce visage "honteux" de l'Argentine - ce "serpent de lupanar" - le tango va revenir chez lui, auréolé de ses succès parisiens et franchir toutes les barrières sociales les plus fermées.

        A partir de 1920, le tango entame son parcours de danse nationale argentine, qui culmine, de 1940 à 1955, avec ce qu'on a appelé "l'âge d'or" du tango. C'est l'époque des importantes formations de violons, bandonéons, pianos et contrebasses de l'orquesta tipica, des chefs prestigieux comme Anibal Troilo ou Osvaldo Pugliese, des grands paroliers-poètes comme Enrique Discepolo, des chanteurs comme Carlos Gardel, de danseurs légendaires comme EL Cachafaz, des vastes cabarets aux noms français et des bals géants occupant salles ou terrains de sport, ou tout le quai du Rio de la Plata livré aux tangueros....

          Aprés 1955, le tango commence à décliner en Argentine : la musique nord-américaine, puissamment diffusée par les médias, "ringardise"le "tango des parents", cependant que la féroce dictature militaire qui s'abat sur le pays - de toute façon hostile au tango, jugé "suspect" dans ses paroles - interdisant tout rassemblement, interdit de fait les bals.

         C'est de nouveau à Paris que le tango va trouver un second souffle. Si le tango a perdu ses pistes de danse, il s'est réfugié dans les concerts et le tango-spectacle, pratiqué sur scène par des danseurs professionnels : c'est sous cette forme - celle du tango fantasia - que, une nouvelle fois, le public parisien va s'enthousiasmer pour le tango, musique et danse, lors dutriomphe, en 1983, de Tango Argentino, redoublé, en 1996, par celui de Tango Passion. Une forte demande d'enseignement apparaît dans les milieux urbains socio-culturellement élevés, à Paris, puis en France et en Europe, à laquelle va répondre la présence, forte à Paris en particulier, d'argentins exilés par la dictature depuis 1976 : le nombre de cours - surtout, au départ dans des associations, puis, de plus en plus, maintenant dans le cadre des écoles de danse - ne va pas cesser de s'accroîte, et l'enseignement, trés marqué au départ par la scène et ses "figures" spectaculaires, va - inégalement - retrouver le chemin du bal, celui des milongueros, pour lesquels l'essentiel réside dans le travail des sensations - à deux - de la marche, du placement du corps, de l'appui dans le sol, permettant le guidage/écoute requis par l'improvisation.

        C'est aussi en Argentine que les succès européens du tango-spectacle a eu un impact en retour : deuxième aller et retour entre Buenos Aires et Paris, la fin de la dictature aidant, une nouvelle génération de "tangophiles" a renoué, par dessus un creux d'une trentraine d'année avec les vieux milongueros : les cours, les Academia, les bals ont réapparu, nombreux, à Buenos Aires. Le tango n'est plus "la" danse de l'âge d'or, mais, comme musique et comme danse, il s'affirme avec vigueur, comme vivant, tant "chez lui" que dans le monde - en France, de plus en plus, en Allemagne aussi....et, notablement, en Finlande ou au Japon....

QUELQUES REMARQUES SUR LA MUSIQUE DU TANGO ARGENTIN

C'est une musique vivante, source d'inspiration de nombreux musiciens. des tangos des grands classiques (Anibal Troilo, Francisco Canaro, Osvaldo Pugliese,......)  aux expérimentations, utilisant les possibilités de l'électronique, des groupes actuels, on peut repérer un certain nombre de costantes.

             C'est une musique à deux temps, de tempo assez lent en général (à l'exception des milongas, toujours rapides), ou les contretemps ne sont pas toujours perceptibles (à la différence des tangos "européens", de compétition ou musette, où ils s'entendent presque autant que les temps, donnant à ces tangos un aspect presque "militaire" et qui font dire quelque fois que la musique du tango est à quatre temps bien marqués). De plus, se superpose souvent à ce rythme fondamental à deux temps le rythme caratéristique de la habanera, devenu au fil des temps le 3-3-2, rythme syncopé dont beaucoup de musiciens (d'Astor Piazzola à Juan Cedron) disent qu'il est l'essence du rythme du tango. Il ne faut pas oublier, bien sûr, le Tango-Vals ou Valse argentine, dont la musique, toujours à deux temps, est caractérisée par une décomposition ternaire de chaque temps.

         La section rythmique de l'orchestre (guitares, contrebasse, quelquefois piano et, récemment, percussions électroniques) peut être silencieuse pendant de longues mesures où l'on n'entend plus que les instruments mélodiques (violon et bandonéon le plus souvent, mais aussi piano). Du point de vue du danseur, il est indispensable d'incorporer la pulsation de façon à pouvoir continuer à danser quand la rythmique s'arrête, d'autant plus que l'interprétation dansée de la musique de tango suppose un "jeu" avec le rythme : deux pas sur un temps, un pas tous les deux temps.....(il n'y a pas de structure figée "lent, vite, vite, lent...." comme en tango européen).

           Les tangos traditionnels étaient, pour la plupart, chantés à l'origine, sur des textes souvent très crus et rarement joyeux, ce qui donne aux musiques de tangos argentins une tonalité générale "pas gaie", d'où la célèbre formule du poète argentin Enrique Santos Discépolo : "le tango est une pensée triste qui se danse", mais aussi : "A l'origine d'un tango, il y a toujours la rue, et c'est pourquoi je marche dans la ville en essayant d'en pénétrer lâme, en imaginant au plus profond de moi ce que tel homme ou telle femme qui passent souhaiteraient entendre ou ce qu'ils pourraient chanter à un moment heureux ou malheureux de leur vie [....]. Le personnage de mes tangos, c'est Buenos Aires, c'est la ville.". C'est sans doute ce qui explique le caractère profondément "humain" des musiques de tango.